Projet d’EPE : quel avenir pour les sciences ?
Nous avons déjà eu l’occasion d’analyser le projet de transformation de l’université Lyon 1 en établissement public expérimental tel que porté par Frédéric Fleury, d’en relever quelques fausses affirmations et de répondre à des questions fréquentes. Il est un aspect qui a encore été peu développé, c’est celui du sort réservé au secteur « sciences » de l’université. Pourtant, son éclatement en deux sous-ensembles est loin d’être évident et pourrait s’avérer contraire aux objectifs affichés du projet ainsi qu’aux ambitions légitimes des disciplines qu’il regroupe.
Projet d’EPE : quel avenir pour les sciences ?
Nous avons déjà eu l’occasion d’analyser le projet de transformation de l’université Lyon 1 en établissement public expérimental tel que porté par Frédéric Fleury, d’en relever quelques fausses affirmations et de répondre à des questions fréquentes (ici).
Il est un aspect qui a encore été peu développé, c’est celui du sort réservé au secteur « sciences » de l’université. Pourtant, son éclatement en deux sous-ensembles est loin d’être évident et pourrait s’avérer contraire aux objectifs affichés du projet ainsi qu’aux ambitions légitimes des disciplines qu’il regroupe[1].
Un secteur santé de LYON 1 uni et renforcé
En premier lieu, reconnaissons que le regroupement de l’ensemble des forces de santé dans une seule composante de niveau 2 (Pôle de Formation et de Recherche) constitue un axe d’autonomie, de force et de développement remarquable pour ce secteur. Ceci a été souligné par plusieurs doyens au Conseil d’Administration et sera certainement confirmé par les votes des différents conseils de composantes de ce secteur. Cette réorganisation proposée en association très étroite avec les HCL, partenaire clé de Lyon1 est nécessaire, rapidement.
Nous avons toujours partagé ce constat, y compris dans nos interventions en Conseil d’Administration – en apportant néanmoins deux précisions.
La première est que la transformation en EPE n’est pas requise pour la construction de cette composante de santé. Que ce soit pour la création d’un « Lyon Academic Health Center » (dont le statut est toujours gardé sous silence), la définition d’une commission recherche mixte avec les HCL ou encore l’autonomie du PFR dans sa campagne d’emploi et dans la répartition des moyens[2].
La deuxième concerne la place des STAPS ; nous entendons les questionnements qui remontent de cette composante importante de l’université et donc considérons, à ce stade, que la concertation n’est pas achevée.
Au-delà de ces réserves, nous avons eu l’occasion de le dire et nous le répétons : nous sommes très favorables à cette restructuration du secteur Santé en regroupant ses composantes. Le secteur de la santé est remarquable de visibilité à LYON 1, fort à la fois de ses formations de qualité, de sa recherche reconnue, de ses liens avec les acteurs industriels et académiques et de ses activités fortes de formation continue – génératrices de ressources propres précieuses qui donneront des marges de manœuvre à cette composante.
Une convergence de point de vue a été obtenue pour le secteur Santé ; la proposition est une pépite à conserver. Mais Lyon 1 a toujours, du moins jusqu’à ce projet, considéré comme fondateur le principe de deux secteurs santé et sciences, équilibrés, complémentaires et en capacité de se rejoindre sur des questions importantes de société. Ainsi, en miroir au projet structurant du secteur santé, observons le tableau qui est proposé pour le secteur science.
La science à LYON 1 : divisée et affaiblie
Trois PFR sont proposés dans le projet EPE. A côté du PFR santé-sport dont nous avons parlé (20.000 étudiants représentant la moitié des étudiants de LYON1), cohérent et inclusif, il y a deux autres PFR relevant de la science. Outre le fait que chacun de ces 2 PFR n’a « que » 10.000 étudiants chacun, la division du secteur science pose de nombreux problèmes, et de fait est fortement débattue, voire contestée ! Ce simple constat sonne comme une alerte avec notamment la question de savoir pourquoi regrouper d’un côté et diviser de l’autre ? Cette division serait basée sur un partage entre un sous-secteur « sciences » d’un côté, et « ingénierie – technologie » de l’autre. Ces simples appellations approximatives sont révélatrices des choix arbitraires hérités du projet IDEX.
Division arbitraire de la licence
La licence Sciences Technologies Santé de LYON 1 est organisée en trois portails en ce qui concerne en particulier les deux premières années : Biosciences et Géosciences, Mathématiques et Informatique, Physique-Chimie-Sciences de l’Ingénieur. Ces deux derniers sont tout simplement coupés en deux par le partage proposé par la gouvernance sciences / ingénierie ! Ainsi, aucune des deux composantes « sciences » n’aura, de plein exercice, la gestion de sa licence. Que ce soit la gestion pédagogique ou la gestion administrative : où seront donc rattachés à la fois les étudiants et les personnels administratifs et techniques ? Où se prendront les décisions « quotidiennes » et les décisions stratégiques ? Pour chacun des deux PFR concernés, c’est un point de faiblesse et de perte d’autonomie.
Séparation arbitraire des masters
Pour le niveau Master, l’interdisciplinarité est primordiale car la division académique des disciplines ne répond jamais aux besoins en métiers de la société. Comment développer de façon forte la bio-info, l’instrumentation, l’analyse, l’intelligence artificielle, l’étude des matériaux, la ville durable etc… alors qu’aucun de ces domaines ne relève d’un seul des deux PFR scientifiques ?
Les partenaires extérieurs auront forcément deux interlocuteurs différents ; les carnets d’entreprises seront redondants. Où se trouve la visibilité lorsque la bio-technologie n’est pas en technologie, lorsque les matériaux et procédés ne sont pas de l’ingénierie, lorsque l’intelligence artificielle n’est pas de la science ?
Les capacités du secteur sciences à développer ses partenariats, penser et construire les formations d’avenir et les masters de demain sont dès le départ bridées par cette séparation.
Une incompréhension de ce qu’est la recherche scientifique
Mais c’est sur la question de la recherche que le découpage arbitraire et ses conséquences néfastes sont les plus criantes. Alors que le président Fleury répète à l’envie que chaque établissement de la ComUE aura dorénavant un interlocuteur privilégié, mettons-nous à la place de l’INSA de Lyon qui va avoir à la fois des UMR et des partenariats de Master dans les deux PFR… Pour l’ENS, on montre sur un schéma un simple lien avec le PFR « sciences » en oubliant… toute l’informatique ! Ceux qui pensaient que l’ingénierie des matériaux polymères (UMR tutelle INSA) était de l’ingénierie devront réviser leurs jugements hâtifs.
La réalité, c’est qu’aucun laboratoire scientifique de l’université, qu’il soit « destiné » à atterrir en sciences ou en ingénierie, n’est épargné par ce coup de hache. Dans chaque laboratoire, des équipes entières ne sont pas à leur place dans leur PFR de rattachement. Alors évidemment on parle de rattachements multiples – mais dans ce cas, où est la cohérence, où se décide la stratégie en termes de patrimoine, de RH, de finances ?
De plus, si le découpage de la science semble équilibré en termes d’étudiants (environ 10.000 étudiants dans chacun des deux PFR), le PFR ingénierie se trouve très clairement être le parent pauvre de la recherche, avec seulement 9 UMR contre 29 dans le PFR sciences. Et pour certaines de ces 9 unités, un nombre très faible de personnels LYON 1, certaines étant très majoritairement rattachées à l’INSA ou l’Ecole Centrale. Et il est troublant de constater que presque tous les chercheurs des organismes, dans le PFR ingénierie, ont été écartés du projet « UCBL »! En effet, aujourd’hui les chercheurs du LIRIS, LIP, AMPERE, INL, CREATIS, LMFA, CETHIL, LBMC… n’ont pas accès aux élections !
Quelles conséquences pour les enseignants-chercheurs ?
Les personnels enseignants-chercheurs sont particulièrement impactés de cette séparation arbitraire où là aussi le PFR ingénierie est clairement le parent pauvre avec moins du tiers des effectifs de la science dans ses rangs.
Mais le plus grave réside dans le fait qu’un très grand nombre d’enseignants-chercheurs se trouvent « partagés » par une double affectation au titre de la recherche ou de la formation ; c’est le cas de très nombreux EC de l’IUT ou de Polytech (en physique, chimie, biologie, …). Puisque le CAc restreint d’établissement est supprimé dans le projet présenté au profit de CAcs restreints de PFR, qui va gérer la carrière, les avancements, les primes de ces personnes ? Avec quelle équité entre deux personnels de la même section CNU ? Qui va définir in fine les profils de recrutement, les COSEL, les listes de candidats retenus ? Bien sûr, cette séparation existe aujourd’hui entre les composantes ; mais celles-ci n’ont ni les compétences, ni l’autonomie, ni les ambitions des futurs PFR.
Ajoutons pour finir que si la partie ingénierie/informatique n’hérite que d’une part minime des forces de recherche, les choses s’inversent probablement si on regarde la question des ressources propres liées à l’activité de formation continue et alternance. L’IUT, Polytech, les départements-composantes d’informatique, GEP et Mécanique possèdent de grosses activités dans ce domaine, des ressources financières importantes, des débouchés très élevés en termes d’emploi industriel. Très clairement, la meilleure stratégie aurait été celle appliquée avec succès au secteur santé : réunir toutes les forces du domaine (recherche, formation et ressources propres) au service d’une même stratégie au lieu de les diviser dans deux secteurs qui souffriront chacun de leurs faiblesses.
Ainsi, la séparation en deux PFR distincts du secteur sciences de l’université est une source d’impuissance pour l’avenir, tant par la division des forces que par l’absence de visibilité de l’extérieur. C’est toute la cohérence du projet qui s’en trouve ébranlée, puisque les conséquences prévisibles d’un tel cisaillement sont totalement contraires aux objectifs affichés en préambule du projet. Aucune autre université en France n’a écartelé la science de cette façon et il suffisait de tourner la tête vers Sorbonne Université, Paris-Saclay ou encore Grenoble-Alpes pour le constater.
Faisant ce constat, il n’est pas possible de soutenir ce projet en globalité, malgré la pertinence indiscutable de la sous-partie « Santé ».
[1] Alors que les composantes de santé ont toutes approuvé la poursuite du projet, des votes négatifs remontent maintenant de l’UFR Biosciences, de l’UFR STAPS et du département-composante GEP, ainsi que des départements de physique et de mathématiques. Mais aussi des UMR qui ont lancé des consultations comme le LBBE (biosciences), le LBMC (mécanique)….
[2] Autonomie toute relative, dans la mesure où, de façon surprenante, le projet de F. Fleury ne transfère aucune compétence du CA vers les PFR ! Sans parler de déroger au code de l’éducation, il n’utilise même pas les possibilités offertes par celui-ci.